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Histoires d'O.
16 mai 2008

# 101


          Il s’ennui. Cette soirée est chiante, mondaine, retenue, cul pincée… une vraie soirée réussie pour les hôtes. Entre les discussions politiques, pseudo artistiques et le groupe d’humoristes pathétiques et beurré, O. s’ennuie. Il est seul, et il s’ennuie. Cet univers, il le connaît bien, il vit dedans. L’argent a décoloré l’esprit de ses proches. L’envie a terni les espoirs. Le luxe a dénaturé les plaisir simples. Lui, non. Il a su préserver cette simplicité sans pour autant tomber dans la médiocrité, bien au contraire. Il cultive le luxe de l’esprit, la valeur de l’espoir et l’envie des plaisirs simples… Les mêmes termes mais une vie inversée par rapport à ces statues sans émotions et sans but.

           Profitant de l’opportunité qu’un des humoriste, dans un excès de champagne, monte sur une table et se met à chanter une chanson grivoise niveau collège, ce qui attire l’attention de toute l’assemblée, O. s’éclipse, sa coupe a la main. Il traverse le salon, vide, bourgeois, sans gout propre. Il traverse le couloir exposant une galerie de tableaux immondes sans identité, à part leur prix, il arrive dans l’entrée et la maitresse de maison l’interrompt alors.

 

- Vous partez déjà ?

- Euh, je… oui.

- Je m’en vais en informer Mr. Burke pour qu’il puisse vous saluer comme il se doit, répond-elle en lui tournant le dos pour retourner vers la salle de réception.

- Non !

 

          Etonné par cette réaction violente, elle s’arrête, le regarde et reprend :

 

- Ah ? Vous avez un problème avec Mr. Burke ?

- Non… je n’ai pas de problème, simplement, je ne pense pas que ce soit nécessaire de le déranger pendant une réunion si importante pour mon simple départ.

- Mais j’en ai pour quelques secondes vous savez, il me suffit de…

- S’il vous plait, ne vous donner pas cette peine.

 

          Prenant son manteau, il sort sous les yeux toujours surpris de la maitresse de maison.

           Le froid l’accueil avec une brutalité revivifiante. Les bruits de verres se sont arrêtés, les rires forcés se sont tus. Il est à présent plongé dans un silence seulement troublé par le craquement de ses pas sur la neige encore fraiche. La lumière du soleil est encore visible dans le ciel sombre et rougeâtre de décembre et, regardant sa montre, il se rend compte qu’il est un peu plus de 19h30... « Seulement ? J’ai fais vite pour me débarrasser de ces vautours… Bien joué O., record battu. » se dit il un sourire aux lèvres. Il avance, contemplant la couleur caractéristique des couchers de soleil hivernaux, le nez en l’air, ses pensées flottant bien plus hautes encore.

           La vue brouillée par quelques branches, il baisse la tête. Il a marché loin. Trop loin, il ne sait même pas où il est. Autour de lui, dans l’obscurité maintenant très dense, il est entouré d’arbres et de lampadaires éclairant faiblement les quelques bancs parsemés ca et là. Le plus proche est situé dans une lumière faible propice au repos qu’il désir prendre après ces quelques minutes de marche et cette journée harassante. Ce banc, tout simple, est déjà occupé par une jeune femme, assise en silence, la tête penchée sur une feuille de papier. Seule sa main s’agite, le crayon prisonnier aussi vif que le reste de son corps reste immobile. « Et bien, elle n'a pas froid elle ? » Sa tenue interpelle O. de part sa légèreté : des petites chaussures, un jean par-dessus lequel elle a ajouté une jupe descendant a mi cuisse et un pull léger, noir, recouvert par un manteau long ouvert, échoué sur le coté. Ses cheveux longs ondulant cache son visage absorbé par sa feuille.

           O. s’approche. Il se rend compte qu’il tient toujours la coupe qu’il avait en main a la sortie de la soirée. Ce détail lui rappelle la tenue dans laquelle il est et se rend compte du caractère étonnant de cette ballade nocturne en costume noir. Chaussures, pantalon, veste, chemise et cravate noir, il pourrait passer pour un faucheur des temps modernes s’il n’avait pas sur le visage rougit par le froid ce sourire, amusé de sa propre vision. Ricanant, il s’assoit sur le coté droit du banc et pose sa coupe. Le tintillement réveille la jeune femme de ses songes. Elle lève la tête vers O. qui la regarde à son tour.

           Elle a de grands yeux marron, un nez mutin et une bouche rosâtre fine et légère. Son visage onctueux est encadré par ses cheveux soyeux. Elle est tout simplement belle. O. la regarde, elle sourit, surement amusé par son allure, elle aussi. Il lui rend un léger sourire.

 

- Bonsoir, risque-t-il.

- Bonsoir.

 

          Un silence s’installe. Quelques secondes, puis prend congé.

 

- Drôle de tenue pour un soir de neige, dit-elle souriante.

- Je vous avouerai que cette promenade est improvisée.

- Je m’en doutais. On ne marche pas en pleine rue avec du champagne avec comme seule raison de se désaltérer.

- Vous avez raison. J’ai fuis une soirée et je me suis perdu ici. C’est une raison plutôt bancale mais je sais être originale.

- Une soirée… une femme ?

- Non mademoiselle, je ne suis pas de ceux qui abandonnerais une femme pour un froid glacial, esseulé, dit il, riant franchement à présent.

- Mmmh… je vois.

 

          Ses yeux l’enveloppaient littéralement. Doux et chaleureux. Son sourire léger et provocateur lui allait à ravir. Apres quelques secondes d’observation silencieuse, elle se repenche sur sa feuille et reprend le court de son travail. « Qu’est ce qu’elle peut bien faire… ? » O. se penche indiciblement et, discrètement, découvre le fruit de l’attention de sa compagne de solitude. Un magnifique dessin est couché sur une grande feuille. Des arbres, des lampadaires, des arbres… Elle dessine son monde. Mais celui-ci regorge de vie et d’énergie. Le trait est nerveux, vif, mais le rendu est d’une tendresse incroyable. O. lève les yeux et fixe ceux de l’artiste à l’œuvre. Ils ont changé. Ils ne fixent plus le dessin en cours de réalisation, ils sont ailleurs. Ils sont dans le dessin. Elle vit son dessin et chaque coup de crayon devient une retranscription de la réalité qu’elle entrevoit.

           Impressionné par la beauté du trait mais respectueux de la concentration de la jeune femme, O. se lance a son tour dans l’activité qui sait l’occuper dans ces moments de plénitude léthargique. Il sort de sa poche intérieur son crayon, son bloc note et, posant ce dernier sur son genou, il se lance dans son récit. Comme d’habitude, dans sa tête, rien n’est écrit, rien n’est prévu. Les mots filent à une vitesse folle, son imagination a la fois fertile et contrôlée pour permettre à ses doigts de suivre l’instantanéité de ses idées. Les phrases s’alignent, la situation se met en place. Cette fois ci, c’est deux personnes, se rencontrant par hasard, se parlant par hasard… s’aimant par hasard. Ils parleraient, s’embrasseraient, aucunes limites ne se dressant entre leurs passions mutuelles. Un bruit de feuille fait émerger O. de son  vagabondage imaginatif. Tournant la tête, il voit que sa voisine vient de tourner la page commencée plus tôt. Feuille blanche, retour à zéro. Les yeux de la jeune femme sont cependant toujours aussi possédés, toujours aussi emprunt de cette excitation, de cette adrénaline caractéristique des artistes inspirés. Il sourit puis se replonge dans son récit.

 


(...)

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