# 101
Il s’ennui. Cette soirée est chiante, mondaine, retenue, cul pincée… une vraie
soirée réussie pour les hôtes. Entre les discussions politiques, pseudo
artistiques et le groupe d’humoristes pathétiques et beurré, O. s’ennuie. Il
est seul, et il s’ennuie. Cet univers, il le connaît bien, il vit dedans.
L’argent a décoloré l’esprit de ses proches. L’envie a terni les espoirs. Le
luxe a dénaturé les plaisir simples. Lui, non. Il a su préserver cette
simplicité sans pour autant tomber dans la médiocrité, bien au contraire. Il
cultive le luxe de l’esprit, la valeur de l’espoir et l’envie des plaisirs
simples… Les mêmes termes mais une vie inversée par rapport à ces statues sans
émotions et sans but.
Profitant de
l’opportunité qu’un des humoriste, dans un excès de champagne, monte sur une
table et se met à chanter une chanson grivoise niveau collège, ce qui attire
l’attention de toute l’assemblée, O. s’éclipse, sa coupe a la main. Il traverse
le salon, vide, bourgeois, sans gout propre. Il traverse le couloir exposant
une galerie de tableaux immondes sans identité, à part leur prix, il arrive
dans l’entrée et la maitresse de maison l’interrompt alors.
- Vous partez
déjà ?
- Euh, je… oui.
- Je m’en vais en
informer Mr. Burke pour qu’il puisse vous saluer comme il se doit, répond-elle
en lui tournant le dos pour retourner vers la salle de réception.
- Non !
Etonné par cette réaction violente, elle s’arrête, le regarde et reprend :
- Ah ? Vous avez
un problème avec Mr. Burke ?
- Non… je n’ai pas de
problème, simplement, je ne pense pas que ce soit nécessaire de le déranger
pendant une réunion si importante pour mon simple départ.
- Mais j’en ai pour
quelques secondes vous savez, il me suffit de…
- S’il vous plait, ne
vous donner pas cette peine.
Prenant son manteau, il sort sous les yeux toujours surpris de la maitresse de
maison.
Le froid l’accueil
avec une brutalité revivifiante. Les bruits de verres se sont arrêtés, les
rires forcés se sont tus. Il est à présent plongé dans un silence seulement
troublé par le craquement de ses pas sur la neige encore fraiche. La lumière du
soleil est encore visible dans le ciel sombre et rougeâtre de décembre et,
regardant sa montre, il se rend compte qu’il est un peu plus de 19h30...
« Seulement ? J’ai fais vite pour me débarrasser de ces vautours…
Bien joué O., record battu. » se dit il un sourire aux lèvres. Il avance,
contemplant la couleur caractéristique des couchers de soleil hivernaux, le nez
en l’air, ses pensées flottant bien plus hautes encore.
La vue brouillée
par quelques branches, il baisse la tête. Il a marché loin. Trop loin, il ne
sait même pas où il est. Autour de lui, dans l’obscurité maintenant très dense,
il est entouré d’arbres et de lampadaires éclairant faiblement les quelques
bancs parsemés ca et là. Le plus proche est situé dans une lumière faible
propice au repos qu’il désir prendre après ces quelques minutes de marche et
cette journée harassante. Ce banc, tout simple, est déjà occupé par une jeune
femme, assise en silence, la tête penchée sur une feuille de papier. Seule sa
main s’agite, le crayon prisonnier aussi vif que le reste de son corps reste
immobile. « Et bien, elle n'a pas froid elle ? » Sa tenue
interpelle O. de part sa légèreté : des petites chaussures, un jean par-dessus
lequel elle a ajouté une jupe descendant a mi cuisse et un pull léger, noir,
recouvert par un manteau long ouvert, échoué sur le coté. Ses cheveux longs
ondulant cache son visage absorbé par sa feuille.
O. s’approche. Il
se rend compte qu’il tient toujours la coupe qu’il avait en main a la sortie de
la soirée. Ce détail lui rappelle la tenue dans laquelle il est et se rend
compte du caractère étonnant de cette ballade nocturne en costume noir.
Chaussures, pantalon, veste, chemise et cravate noir, il pourrait passer pour
un faucheur des temps modernes s’il n’avait pas sur le visage rougit par le
froid ce sourire, amusé de sa propre vision. Ricanant, il s’assoit sur le coté
droit du banc et pose sa coupe. Le tintillement réveille la jeune femme de ses
songes. Elle lève la tête vers O. qui la regarde à son tour.
Elle a de grands
yeux marron, un nez mutin et une bouche rosâtre fine et légère. Son visage
onctueux est encadré par ses cheveux soyeux. Elle est tout simplement belle. O.
la regarde, elle sourit, surement amusé par son allure, elle aussi. Il lui rend
un léger sourire.
- Bonsoir,
risque-t-il.
- Bonsoir.
Un silence s’installe. Quelques secondes, puis prend congé.
- Drôle de tenue pour
un soir de neige, dit-elle souriante.
- Je vous avouerai
que cette promenade est improvisée.
- Je m’en doutais. On
ne marche pas en pleine rue avec du champagne avec comme seule raison de se
désaltérer.
- Vous avez raison.
J’ai fuis une soirée et je me suis perdu ici. C’est une raison plutôt bancale
mais je sais être originale.
- Une soirée… une
femme ?
- Non mademoiselle,
je ne suis pas de ceux qui abandonnerais une femme pour un froid glacial,
esseulé, dit il, riant franchement à présent.
- Mmmh… je vois.
Ses yeux l’enveloppaient littéralement. Doux et chaleureux. Son sourire léger
et provocateur lui allait à ravir. Apres quelques secondes d’observation
silencieuse, elle se repenche sur sa feuille et reprend le court de son
travail. « Qu’est ce qu’elle peut bien faire… ? » O. se penche
indiciblement et, discrètement, découvre le fruit de l’attention de sa compagne
de solitude. Un magnifique dessin est couché sur une grande feuille. Des
arbres, des lampadaires, des arbres… Elle dessine son monde. Mais celui-ci
regorge de vie et d’énergie. Le trait est nerveux, vif, mais le rendu est d’une
tendresse incroyable. O. lève les yeux et fixe ceux de l’artiste à l’œuvre. Ils
ont changé. Ils ne fixent plus le dessin en cours de réalisation, ils sont
ailleurs. Ils sont dans le dessin. Elle vit son dessin et chaque coup de crayon
devient une retranscription de la réalité qu’elle entrevoit.
Impressionné par
la beauté du trait mais respectueux de la concentration de la jeune femme, O.
se lance a son tour dans l’activité qui sait l’occuper dans ces moments de
plénitude léthargique. Il sort de sa poche intérieur son crayon, son bloc note
et, posant ce dernier sur son genou, il se lance dans son récit. Comme
d’habitude, dans sa tête, rien n’est écrit, rien n’est prévu. Les mots filent à
une vitesse folle, son imagination a la fois fertile et contrôlée pour
permettre à ses doigts de suivre l’instantanéité de ses idées. Les phrases
s’alignent, la situation se met en place. Cette fois ci, c’est deux personnes,
se rencontrant par hasard, se parlant par hasard… s’aimant par hasard. Ils
parleraient, s’embrasseraient, aucunes limites ne se dressant entre leurs
passions mutuelles. Un bruit de feuille fait émerger O. de son vagabondage
imaginatif. Tournant la tête, il voit que sa voisine vient de tourner la page
commencée plus tôt. Feuille blanche, retour à zéro. Les yeux de la jeune femme
sont cependant toujours aussi possédés, toujours aussi emprunt de cette
excitation, de cette adrénaline caractéristique des artistes inspirés. Il
sourit puis se replonge dans son récit.
(...)