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Histoires d'O.
16 mai 2008

# 102

                 Puis ça s’arrête, le filon est épuisé. Déçu par sa performance faiblarde, il cherche un peu, quelques efforts ne peuvent pas faire de mal a son cerveau engourdi. Il trouve une autre source d’inspiration, voisine au demeurant de la précédente. Une autre forme, une autre langue, un autre ton, un autre rythme. La même femme. Les vers se superposent, se répondent, s’entrechoquent et des étincelles d’amour y jaillissent. L’esprit illuminé, il couche ses mots sur le papier, sa mine valsant au rythme de ses mains orchestrées avec classe et génie par ses envies et son instinct, éveillé, transcendé.

                 Epuisé, il pose la plume 10 minutes plus tard. Il a les mains bouillantes, la tête étrangement vide et hanté de fantômes, ceux des mots qu’il vient d’écrit. Il les revoit, sans écho, se balader dans sa tête. Il en voit aussi d’autres, perdus, n’ayant trouvé place dans son texte qu’il juge terminé. La jeune femme, elle, a déjà arrêté de peindre ses visions. Elle est assise, calme, immobile. Voit-elle les mêmes choses, les mêmes ombres ? O. est curieux. Il veut savoir ce que cette femme cachait dans ces yeux flamboyants. Il tend la main vers le carnet a dessin, posé sur le banc, entre eux deux, refermé. A peine a-t-il touché l’objet qu’elle se réveille, émergeant d’un rêve quelconque, d’une pensée inconnue.

 

- Et bien, en voilà des manières.

- Je vous en prie, je me suis forcer à ne pas poser le moindre regard sur votre travail en cours d’élaboration, permettez moi d’y jeter un œil maintenant achevé.

- Il n’est pas achevé

- Une œuvre ne l’est jamais

- Elle l’est autant que son auteur, c’est le reflet de son esprit

- Vous ne vous semblez pas complète ? ose-t-il, reposant le carnet sans y avoir jeté un seul coup d’œil qui aurait pu paraître mesquin et emprunt d’une curiosité détestable.

 

                 Les yeux dans le vague de la nuit descendue sur le parc, ses paroles ruissellent de sa bouche. Cherchant ses mots, se regardant elle-même, elle réfléchit à sa réponse. Embêtée et légèrement maussade, elle répond :

 

- Non… non, c’est vrai, j’éprouve des manques.

- Lesquels ?

 

                 De nouveau souriante, elle penche la tête vers O.

 

- Attention jeune homme, vous devenez de plus en plus indiscret.

- Vous devenez de plus en plus mystérieuse.

- Oh, dans ce cas, je ne voudrais pas gâcher ce mystère par de quelconques révélations. Aussi, je préfère me taire sur ce point.

- Voilà qui est fort dommage

- Il ne fallait pas vous attendre à mieux, vous n’êtes qu’un inconnu après tout.

- Vous prenez le problème à l’ envers. Je suis un inconnu à défaut de vous connaître, et non pas l’inverse. Répondez-moi et nous serons liés.

- Qui vous dit que je souhaite une telle liaison ? Vous me semblez sur de vous.

- Je le suis.

- Je n’aime pas les gens prétentieux.

- Je ne le suis pas.

- Vous vous vantez pourtant de votre assurance.

- C’est vrai, je m’en vante car j’en suis moi-même surpris

 

                 Interloquée, elle fronce les sourcils et demande

 

- Que voulez vous dire ?

- Je ne suis pas de ces grands bavards qui palabrent pour ne rien dire…

- Que voilà une belle phrase antithétique vous contredisant déjà.

- Laissez-moi terminer. Je ne parle que rarement et pourtant, en votre compagnie, j’éprouve ce besoin.

- Nous discutons depuis quelques minutes seulement, ne parlez pas encore de besoin.

- Je vous parle depuis bien plus longtemps.

 

                 O. sourit comme un enfant amusé face a un jeu dont il connaît les règles a la perfection et qu’il contrôle sans pour autant le dominer. Chaque verbe qu’elle choisit avec soin en attend un autre de sa part, il connaît les correspondances, les meilleurs choix, les meilleures tournures. S’il ne les devine pas, la discussion s’arrêtera. Face à lui, cette femme qui le teste, l’analyse, essaye d’y trouver une faille, sans succès. Il maitrise cette joute et elle en est ravie. Il aime qu’elle aime ce jeu.

                 Apres les quelques secondes de silence qui ont suivit sa dernière phrase, restée béate, elle baisse les yeux sur le carnet d’O., toujours posé sur ses genoux. Elle relève les yeux. Sourit. Un sourire malicieux. Elle a trouvé un atout. Il l’a laissé trouvé. Elle détourne le regard, fixe le ciel de nouveau. O. se penche en avant et, prenant le carnet entre ses mains, fixe le sol. Le silence est plein d’interrogations. Chacun imagine les réactions aux questions qu’ils pourraient poser à l’autre, puis un échafaudage de conjecture fini par déboucher sur une impasse. Des châteaux de cartes de réactions s’élèvent, s’écroulent, se redresse et avortent dans leur esprit. Elle re-tourne la tête vers lui, toujours penché.

 

- Vous écrivez ?

 

                 Fixant encore le sol, il répond, d’un air désenchanté.

 

- Oui, quand j’en éprouve l’envie. Et quand je réussis à le faire.

- Réussir a le faire ? Voilà qui est étonnant. J’avais entendu dire que l’écriture était un travail, qui s’améliore avec les relectures et qui se modifie au grès du temps.

- Je ne pratique pas ce genre d’écriture. J’écris avant tout pour mettre à plat ce que je ressens. Y mettre des limites par des mots m’aide à en concevoir la beauté ou la complexité, à le mettre en ordre et ainsi à l’apprécier a sa valeur.

- Vous avez fait de même ce soir ?

- Je ne fais que ça.

- Et que ressentez vous ?

- A votre tour de devenir indiscrète mademoiselle.

- Je sais que ça vous plait, avouez le.

 

                 Il se redresse, ne la regarde toujours pas. Il soupire en ricanant légèrement. Elle lui fait plaisir. Elle répond une fois encore à ses attentes, joue avec lui.

 

- C’est vrai, je vous l’ai dit, j’aime parler avec vous. Et si pour poursuivre cette conversation je dois me livrer à vous sans réserve, je le ferais, sans hésitation.

- Je ne me savais pas si influente.

 

                 Il se tourne vers elle, la fixe dans les yeux et lui dit :

 

- Vous ignorez sans doute tout de ce qui fait votre beauté.

                 Elle ne rougit pas. Elle ne détourne pas la tête. Elle le fixe, encore. Pour la première fois, il est réellement surpris. Déstabilisé même. Il se met à sourire, amusé par ce changement de situation.

 

- Donnez-moi votre carnet, Monsieur.

- Oh, sans détour et sans nuance.

- Je n’ai pas l’habitude de laisser les choses que je désire à une distance trop éloignée de moi et ce carnet me semble à des kilomètres. Donnez le moi.

- Vous savez déjà ce que je demanderais en échange.

- Soit, j’offre à vos yeux mes croquis.

- Comment refuser une telle offre.

 

                 Il pose son carnet sur le banc, a coté de celui de la jeune femme. Immobiles, ils se regardent. Puis, elle tend la main, ricane, et, saisissant le carnet, l’ouvre et détache son regard de O. pour se fixer sur ses écrits. Il fait de même, prenant délicatement le carnet à croquis alors que sa compagne est déjà absorbée en pleine lecture.

                 Son corps reste immobile mais ses yeux dévorent les mots. O. l’observe attentivement, les vrais réactions ne sont jamais retranscrites par des phrases, à froid. C’est en ce moment que tout se joue. Elle lit, elle relit, elle cligne des yeux rapidement, ses paupières comme des voiles qu’elle ne veut pas laisser sur un texte qui la passionne. Ses doigts s’agitent, elle remet une mèche de cheveux derrière son oreille, elle tapote le carnet, toujours en lecture. O. est satisfait, tout ces gestes, il les connaît et il connaît aussi leur signification. Souriant légèrement, il regarde à son tour le carnet qu’il tient entre les mains.

(...)

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